Rencontre avec Jérôme Delormas, à la tête de La Gaîté Lyrique

Bonjour Jérôme, pouvez-vous parler de votre parcours ?

J’ai notamment travaillé en Espagne et au Japon où j’ai dirigé des centres culturels, et en France où j’ai dirigé un centre d’art contemporain et une scène nationale. J’ai également été directeur artistique de la nuit blanche de Paris en 2007, en association avec Jean-Marie Songy, ainsi que de la candidature de Lyon au titre de capitale européenne 2013. Je mène par ailleurs depuis plusieurs années des projets de commissariat d’expositions  et de programmation dans les champs de l’art, de la musique, de la danse, du design et des nouveaux médias.  Globalement j’ai toujours été passionné par des approches transversales et je me sens généraliste.  Nous avons plus que jamais besoin de faire des liens entre les disciplines pour faire émerger le sens. Et puis tout simplement le plaisir de la polychromie !

Vous êtes à la tête de la Gaîté Lyrique depuis 2007 et vous avez vécu le renouveau du lieu vers le numérique. Comment s’est passé ce changement de direction ?

Il n’y a pas eu de changement de direction dans la mesure où la Gaîté lyrique nouvelle formule est un projet totalement neuf. Après une longue phase de candidature, la Ville de Paris, propriétaire et initiatrice du projet, a choisi notre équipe en décembre 2007, sur notre projet. Tâche exaltante de concevoir un projet ex nihilo au cœur de Paris, avec des contraintes, mais aussi une liberté remarquable. Mon approche du numérique est généraliste et tournée autant vers les usages que vers la haute technologie. Comment nos vies, notre société, notre rapport au monde et surtout la manière dont on le représente, mettent la création au cœur de l’invention de nos vies, donc de la citoyenneté.

Passer d‘un théâtre historique à un lieu ultra connecté, est-ce un défi difficile à relever ?

Oui, c’est un défi. Mais comme l’équipement a été totalement reconstruit, sauf quelques espaces, on a affaire à un résumé, une sorte de voyage dans le temps, du XIXème au XXIème siècle ! La Gaîté lyrique fait partie de l’imaginaire parisien, où Offenbach hante la planète magique (parc d’attractions dans la Gaîté à la fin des années 80), où le théâtre musical et populaire rencontre des formes pop liées aux cultures numériques (jeu vidéo, musique électro, etc.).

Pensez-vous que les parisiens étaient en attente d’un lieu artistique pluridisciplinaire et que la Gaîté Lyrique a comblé un vide ?

Très clairement et de toute évidence, les deux années et demie d’ouverture au public prouvent déjà que toute une génération a trouvé son lieu culturel, et que les fans du numérique et des cultures pop comme les plus rétifs aux technologies ont enfin un lieu pour se sensibiliser et prendre à bras le corps les mutations en cours (je pense par exemple à des ateliers que nous organisons pour des séniors, autour du jeu vidéo ou de l’écriture multimédia).

Pour beaucoup, la Gaîté Lyrique est un lieu avant-gardiste, notamment en matière de musique puisqu’elle est devenue en quelques mois « the place to be » pour les groupes indépendants. Est-ce quelque chose que vous ressentez ?

Oui, on le ressent et on ne va pas s’en plaindre ! Mais nous sommes par ailleurs attentifs à ce que ce côté « branché » ne soit pas excluant et que ce soit the place to be pour tout le monde et pas seulement ceux qui en ont les codes sociaux et culturels.

Plus qu’un lieu d’apprentissage culturel, la Gaîté Lyrique est un lieu de divertissement. En quoi apprentissage et amusement sont-ils compatibles ?

Je pense que l’un des faits majeurs des décennies récentes est la réappropriation du jeu par la société, grâce au jeu vidéo. Ce qui justifie un lieu comme la Gaîté lyrique, c’est le besoin énorme que nous avons tous de partager des expériences, de vivre ensemble des choses. Musique, jeux, expos interactives, partage des savoirs, etc. sont des enjeux importants à l’ère numérique. Finalement il y a le politique au sens du vivre ensemble qui est derrière cela, à un moment où le monde tend à être approprié par des intérêts qui dépassent le bien commun, à un moment où l’émancipation en germe dans la société en réseau peut basculer en cauchemar du tout contrôle totalitaire. Il s’agit de montrer aussi que le divertissement et la culture sont ce que l’on en fait. Le clivage « sérieux / pas sérieux » peut être dépassé. Vivre pleinement et passionnément notre temps avec toutes les fabuleuses potentialités qu’il porte, tout en restant plus que jamais en éveil face aux dérives et aux dangers.

Quelle est la place du numérique dans la culture aujourd’hui ? A l’ère du tout numérique, peut-on encore les différencier ?

Le numérique peut difficilement désormais apparaître comme un champ ou un genre en soi. Dans le monde culturel, souvent assez conservateur, il y a une tendance à mettre le numérique dans une case du type « art numérique ». La vague est beaucoup plus profonde. Que l’art contemporain ou la musique, par exemple, se créent une catégorie spéciale où l’outil numérique est utilisé me semble réducteur. Il ne faut pas reproduire les schémas anciens en mettant dans les cases anciennes, prendre conscience d’enjeux culturels majeurs liés aux industries, aux usages, à la communication et à la place de la création…

On parle de culture digitale, peut-on parler de culture numérique ?

On peut en parler au sens où notre relation aux autres et au monde est désormais en grande partie « interfacée », c’est à dire dépendante d’écrans, de terminaux, de sons, etc. Le code informatique et les algorithmes deviennent un sujet majeur. Du coup, le créateur, le designer, le codeur, etc. ont une responsabilité décuplée, car c’est eux qui ont le savoir et le pouvoir (enfin eux et/ou leurs commanditaires) de dessiner la manière dont nous vivons le monde nouveau.

Avec quels artistes aimeriez-vous travailler dans les prochains mois ?

Je ne peux pas répondre à cette question. J’ai plein d’envies et je travaille avec des personnes également enthousiastes, inventives, pleines de désirs et de projets avec des artistes.

Crédits photo : Maxime Dufour
Comments or opinions expressed on this blog are those of the individual contributors only, and do not necessarily represent the views of FRANCE 24. The content on this blog is provided on an "as-is" basis. FRANCE 24 is not liable for any damages whatsoever arising out of the content or use of this blog.
0 Comments

Poster un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ ne sera pas montré publiquement.
  • Aucune balise HTML autorisée

Plus d'informations sur les options de formatage

CAPTCHA
Cette question vous est posée pour vérifier si vous êtes un humain et non un robot et ainsi prévenir le spam automatique.